Après les déboires du nouveau Vélib du début d’année, le service Autolib va donc cesser à compter du 31 juillet prochain. Une des plus célèbres vitrines des nouvelles mobilités parisiennes baisse donc pavillon, quelques années seulement après avoir été présentée comme un exemple de mobilité urbaine dans le monde.

Comment donc ces services présentés hier comme avant-gardistes et copiés dans le monde entier ont-ils pu en arriver-là ?

La réponse tient autant à la politique urbaine qu’aux comportements de mobilité.

A divers degrés, nous avons pensé avec Vélib et Autolib répondre à un frein majeur dans la mise à disposition de véhicules partagés : celui de l’aller-retour. Les locations classiques proposaient quasi-systématiquement de restituer le véhicule à l’endroit où il avait été pris en main. En démocratisant le concept de « trace directe », c’est-à-dire la possibilité de pouvoir déposer le véhicule à son point de destination plutôt qu’à son point de départ, nous contournions le principal écueil des solutions locatives et pouvions proposer des locations à la minute avec une multitude de stations de départ et d’arrivée.

Séduisante sur le papier, l’idée d’Autolib a néanmoins vu Bolloré et le syndicat se rendre à l’évidence : impossible de rentabiliser le dispositif, qu’il s’agisse des stations ou des véhicules. Si le déséquilibre économique du système peut se lire côté dépenses avec des investissements énormes consentis dans la construction des stations, dans l’entretien, la réparation et le remplacement des véhicules, le principal écart avec le Business Plan de l’industriel breton se situe côté recettes. En effet, malgré plus de 100 000 abonnés, le nombre de locations mensuelles par abonné est beaucoup plus faible qu’anticipé. La raison semble pourtant limpide : Autolib n’a pas proposé aux Parisiens une solution de mobilité suffisamment compétitive pour modifier leurs comportements de déplacement. Il faut dire que le service s’est déployé là où il était le moins utile : au cœur d’une mégalopole disposant des offres de transport parmi les plus denses au monde avec notamment une station de métro tous les 400 mètres, un record mondial ! Autrement dit, la très grande majorité des trajets effectués en Autolib auraient pu être effectués via d’autres modes de transports, dans des temps et des budgets finalement assez comparables. Dans ces conditions, il était difficile de gagner des parts de marché sur les transports ferrés, les bus, voire sur les services émergents de VTC qui jouent l’argument quasi « door-to-door » pour des tarifs qui restent accessibles. En définitive, impossible donc d’étendre la clientèle au-delà des quelques pionniers, early adopters, « métrophobes » et autres convaincus de l’économie du partage et de l’écologie. Sans capacité à faire du service une vraie alternative modale, le plafonnement des abonnés semblait inéluctable. Jusqu’à donner raison aux quelques pessimistes, qui, à la signature du contrat avec Bolloré, pointaient l’utopie du modèle de rentabilité.

Reste une question : et si l’échec économique n’était pas dans la sur-estimation des recettes, mais dans celle des dépenses ? Compte-tenu de la grande compétitivité modale au sein du Grand Paris, pourquoi avoir cherché coûte que coûte à installer plus de mille stations dans toute l’Ile-de-France, déployé une telle infrastructure électrique, sacrifié autant de places de stationnement ? Les autres capitales semblent l’avoir compris. Finalement peu d’entre-elles ont choisi un système de « trace directe » jugé trop onéreux pour privilégier des solutions en « free floating » qui connaissent actuellement un grand succès. Il faut dire qu’elles ont un avantage considérable : celui de l’absence de stations. Le véhicule peut être déposé à n’importe quel endroit, il se localise et se déverrouille via un simple smartphone. Cela n’implique pas pour autant une absence de dépenses car il faut tout de même s’acquitter de la redevance d’occupation du domaine public. Et le free floating suppose également d’avoir un système actif de gestion des véhicules afin d’en assurer la bonne répartition sur le territoire opéré. Mais leur facilité d’usage pour le client final et leur capacité à se fondre rapidement et efficacement dans leur environnement sont tels qu’ils en font des dispositifs particulièrement adaptés aux besoins de mobilité urbaine.

A Paris, Vélib’ devra ainsi reconquérir ses milliers d’usagers partis chevaucher les vélos chinois en libre-service qui ont pullulé durant la période de changement d’opérateur. Il devra également concurrencer, sur certains trajets, CityScoot le service de scooters électriques … en free floating.

Quant à Autolib, qui devait rappelons-le « remplacer 5 voitures privées », l’échec fera réfléchir nombre de constructeurs automobiles et autres acteurs de la mobilité. A l’heure où PSA cherche à se positionner sur des solutions d’autopartage à l’étranger et Renault-Nissan a pour projet de devenir le leader mondial de la mobilité électrique, les acteurs français avancent désormais à pas feutrés. A ce petit jeu, nos voisins allemands, qu’on disait pourtant indéboulonnables de leur voiture privée, semblent avoir pris de l’avance. En déployant Car2Go, désormais leader mondial de l’autopartage, pour proposer des smart Fortwo en free floating en Europe, aux Etats-Unis et au Canada, puis en rachetant l’allemand MyTaxi et le français Chauffeur Privé, le groupe Daimler a démontré avec un certain succès son implication dans l’opération de solutions de mobilité partagée.

La France a clairement des expertises et savoir-faire à faire valoir. Elle dispose d’un champ d’expérimentation unique au monde concernant les nouvelles mobilités : mégalopoles et villes de tailles moyennes, littoral et montagne, équilibre rail-route, distances de trajet médianes… Mais après les échecs de Velib et d’Autolib, elle doit encore démontrer sa capacité à investir sans œillères dans les solutions à même d’accompagner la transformation sociétale qui s’opère dans la mobilité urbaine. Sans utopie.