Pour Grégoire Mialet, associé C-Ways, le Fashion Pact, au-delà des effets d’annonce, signe une petite révolution pour le secteur de la Mode


32 entreprises du monde de la mode représentant 150 marques ont lancé en marge du G7 de Biarritz un « Fashion Pact », un pacte qui entend limiter l’impact de la filière sur le climat. Que penser de cette initiative ?

Comment s’assurer que cet engagement en grandes pompes différera des précédentes annonces et sera suivi d’effets ?

Grégoire Mialet, co-fondateur de C-Ways et spécialiste Retail

Bien que les engagements pris dans ce pacte ne soient pas contraignants, cette initiative inédite a le mérite d’acter la prise de conscience de l’industrie du textile pour les enjeux environnementaux. Ces acteurs ne découvrent pas que leur filière est la deuxième industrie la plus polluante du monde (avec 10% des émissions de CO2, derrière les énergies fossiles), en revanche ils concèdent que l’intérêt des consommateurs pour la tracabilité et le suivi des impacts sur la planète peut avoir un rôle décisif pour leurs marchés dans les années à venir. La création de ce pacte signe en quelque sorte la fin du « Green Washing » et le démarrage d’un pôle de compétitivité autour de la mode responsable.

Dans l’industrie textile plus qu’ailleurs, les marques sont dépendantes des choix du consommateur. La diversité de marques, les faibles taux de fidélité, les taux de rotation courts, le rôle des influenceurs peuvent condamner rapidement la réputation d’une marque, même historique. L’industrie, à la peine depuis plus d’une décennie, ne se remettrait pas d’un « fashion shaming » comme celui qui menace le secteur aérien. En réalité, ces marques n’ont pas le choix. Elles ne font qu’entériner des décisions déjà prises en interne, visant avant tout à réduire l’écart entre les attentes des consommateurs et leurs stratégies commerciales. L’explosion des réseaux d’influence ces dernières années fait que les marques n’ont plus complètement la main. Cela change la donne.

Logo de Fashion Pact G7

François-Henri Pinault, PDG du groupe Kering et principal artisan du Fashion Pact, vante le fait que les engagements pris sont mieux-disants que les objectifs de l’accord de Paris. Est-ce vrai ?

Les objectifs de Paris ont deux horizons, 2030 et 2050. Horizons particulièrement contraignants pour les industries lourdes, l’énergie, l’aéronautique, l’automobile. Mais les industries du textile et de la maroquinerie ont l’avantage d’être sur des cycles beaucoup plus courts. En trois ou quatre saisons, ces marques peuvent apporter des produits complètement nouveaux sur le marché.

Les ONG se sont montrées sceptiques sur cette annonce. Elles pointent les incohérences de certains groupes et militent pour un changement complet du modèle de consommation…

Sans vouloir défendre l’industrie, les incohérences de ces acteurs sont aussi celles de consommateurs ; beaucoup s’indignaient sur les conditions de production ou les matières chimiques présentent dans les produits mais n’hésitaient pas à fanfaronner dès qu’ils achetaient un pull à 20€. Or la filière, telle qu’elle organisée, ne peut pas vendre un pull à 20€ en respectant les accords de Paris. Donc paradoxalement, le succès d’un tel plan résidera surtout sur son acceptation par les acheteurs.

Et justement, les consommateurs sont-ils prêts à payer plus cher des produits labellisés ?

Il suffit de regarder le marché pour répondre à cette question. Des marques positionnées sur des créneaux responsables, comme Le Slip Français, Veja, Ekyog, Bonobo, Stella McCartney, connaissent de fortes croissances et bousculent complètement les codes habituels. Au même titre qu’ils veulent savoir ce qu’il y a dans leur assiette, les consommateurs veulent savoir d’où viennent leurs vêtements. Et pour cela, ils sont prêts à payer plus cher, tout simplement parce qu’ils en achètent moins. 2018 a été la première année en France où le marché textile a baissé en volume. Ce qui a changé au cours des deux trois dernières années, c’est que les consommateurs peuvent consommer mieux car ils ont choisi de consommer moins. À côté de cela, le marché de la seconde main a été multiplié par 10 en dix ans. A l’échelle macroéconomique, c’est très significatif. Donc oui, sur cet aspect, on assiste à une petite révolution.

Pourquoi les marques de luxe sont-elles en première ligne ? Comment se situe leur empreinte écologique ?

Il n’est pas étonnant de voir les marques de luxe en première ligne. Tout d’abord, contrairement aux idées reçues, leurs clientèles sont très sensibles à ces aspects. Ensuite, elles sont restées relativement maîtresses de leur chaîne de production, ce qui leur permet de passer plus facilement les évolutions de normes et standards du marché.

Ensuite, mettre en avant la provenance des produits fait partie de leur ADN et est un vecteur clé de réassurance et d’authenticité. Le « Made In France » est un tampon qu’elles apposaient sur leurs sacs bien avant que le « consommer local » soit un argument écologique de premier plan.

Malheureusement, elles sont encore mauvaises élèves sur d’autres aspects : la gestion des déchets où les fibres et les peaux qui ne passent pas leurs standards sont brûlées ou jetées dans des conditions particulièrement énergivores, leur respect de la biodiversité est particulièrement contestable au vu de leurs élevages d’animaux exotiques (crocodiles, serpents) inadéquats avec les plans de sauvegarde internationaux ou pire encore les accusations de maltraitance animale qui visent par exemple Canada Goose et ses pièges à coyotes. Ce dernier n’était d’ailleurs pas bienvenu dans la signature de ce pacte…

Que penser de l’absence du numéro 1 mondial, le Groupe LVMH.

Une absence surtout politique. LVMH a intégré un programme environnemental depuis plus longtemps que ses concurrents et a récemment frappé un grand coup en s’associant avec la britannique Stella Mc Cartney, référence reconnue mondialement dans la mode responsable. La signature de ce pacte aux côtés de Kering, son principal concurrent, considéré comme étant parti plus tard sur le créneau et jugé plus opportuniste, était sans doute une pilule trop amère à avaler. On peut évidemment le regretter.

Les marques signataires représentent 30% du marché. Est-ce suffisant ?

Oui, incontestablement, le coup de force est réussi. Alors que le pacte se signait à 30 groupes, deux nouveaux entrants sont arrivés entre la présentation à la presse et celle d’Emmanuel Macron (Karl Lagerfeld et MatchesFashion, ndlr), preuve de la crainte des non-signataires d’être stigmatisés. Ici encore, les absents pourraient avoir tort. Reste à savoir les actions que les signataires de ce pacte rédigé à la hâte mettront en œuvre dans les prochains mois ; leur crédibilité en dépend.