Macron-Le Pen ou le symbole de deux Frances que tout oppose

Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont présenté hier soir lors du débat présidentiel deux visions diamétralement opposées de la France.

Et pour cause. Une étude statistique réalisée sur les 36 000 communes par les équipes C-Ways à la suite du 1er Tour de l’élection présidentielle confirme l’image de 2 Frances qui n’ont jamais paru aussi différentes. L’analyse géographique confirme que ces électorats ne se côtoient quasiment pas sur le territoire et n’ont donc pas l’habitude de cohabiter. Difficile alors de se connaître et de se comprendre.

Macron surperforme dans les grandes villes

Des corrélations entre le pourcentage de voix pour les candidats et les caractéristiques socio-démographiques de la population.

D’abord, notre équipe s’est attelée à mettre en lumière les corrélations les plus importantes entre les données socio-économiques françaises et les résultats aux élections.

Cette étude confirme et chiffre 3 phénomènes majeures :

L’abstention, une sélection par le bas

Le lien de corrélation le plus fort est celui qui concerne l’abstention. Celle-ci atteint des niveaux records dans les zones les plus pauvres ; en revanche, elle est très faible dans les zones riches.

Le taux d’abstention est +20% supérieur chez les femmes (29%), 1,5 fois supérieur chez les 25-35 ans (et non pas chez les moins de 25 ans) et évidemment très élevé chez les ouvriers (35%) et les inactifs (30%) selon des données estimatives recueillies par Ipsos.

Le profil des abstentionnistes est en réalité le plus proche du profil des électeurs de Mme Le Pen et de M. Mélenchon. Le paradoxe est que le taux d’abstention à l’élection présidentielle est depuis 2002 un facteur exactement proportionnel au score du Front National / Rassemblement National

Emmanuel Macron, candidat des riches, des urbains, des retraités et des cadres

Emmanuel Macron, Président des riches ? En tous cas, la corrélation entre le pourcentage de votes pour le candidat et les premiers déciles de revenus est clairement positive. Autrement dit, les communes où la population est plus aisée sont des communes où les votes pour Emmanuel Macron ont été plus importants.

Emmanuel Macron dépasse ainsi les 30% dans les zones où le premier quartile de revenus est supérieur à la moyenne, comme dans les grandes villes. Concomitamment, il fait des scores de 35% chez les cadres et 38% chez les retraités selon les données Ipsos. En termes de proximité politique, il fait ses meilleurs scores dans les bastions historiques de la Droite Républicaine, notamment dans des zones où François Fillon faisait de bons scores en 2017.

M. Macron fait ses scores écrasants dans les zones avec une part importante de personnes âgées. D’après Ipsos, il aurait près de 30 points d’avance (!) chez les plus de 70 ans : 41% contre 13% pour Mme Le Pen, deuxième. Et ceux-ci représentent une part non négligeable du corps électoral.

A l’inverse, être âgé de plus de 65 ans divise par 5 la probabilité d’avoir choisi M. Mélenchon ou M. Jadot au premier tour. Mais hormis sur le critère décisif de l’âge, l’électorat le plus proche de celui de M. Macron est en réalité celui de… Yannick Jadot. Les convergences entre leurs électorats sont à certains égards frappantes, tant au niveau du revenus que de la localisation territoriale.

Marine Le Pen, candidate des ouvriers, des jeunes, des zones rurales… et des populations non imposables

Le premier critère de corrélation qui ressort des résultats Marine Le Pen est celui … d’avoir un faible taux d’imposition. Vient ensuite la part des ouvriers, les personnes de moins de 30 ans et les zones rurales.

Paradoxalement, le score de Marine Le Pen n’a aucune corrélation avec le taux d’immigration sur le territoire : ainsi elle fait ses meilleurs score dans l’Aisne (39%), le Pas-de-Calais (39%), la Meuse (35%) et les Pyrénées Orientales (33%), des zones où le taux d’immigration Hors Union Européenne est quasi nul.

L’électorat le plus proche de celui de Mme Le Pen est en réalité celui de Jean-Luc Mélenchon, au sein duquel un très grand nombre de variables sont extrêmement similaires (revenus et âge notamment).

  1. Mélenchon (33%) et Mme Le Pen (25%) arrivent ainsi nettement en tête sur la cible des moins de 35 ans.

Reports de voix : la sociologie montre une équation complexe et des passerelles inattendues entre candidats

Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, les électeurs qui sont restés fidèles à Eric Zemmour ou à Valérie Pécresse sont assez différents des électeurs qui se sont finalement tournés respectivement vers Marine Le Pen et vers Emmanuel Macron.

Eric Zemmour fait ses meilleurs scores dans les zones où les inégalités sont les plus fortes, avec un taux de corrélation de 44% entre son score obtenu et l’indice de Gini, 43% avec l’écart inter-quartile. Enfin il performe là où les électeurs ont de très forts patrimoines (par exemple sur la Côte d’Azur) ou des activités non salariées, là où Mme Le Pen s’adressent principalement à des actifs salariés.

 

Contrairement à une idée reçue, Valérie Pécresse fait des scores similaires (entre 4% et 5%) quelque soit le niveau de vie des communes, hormis dans les 2% des communes les plus riches où elle dépasse 6%. En réalité, elle sur-performe dans les classes moyennes qui ne bénéficient d’aucune aide sociale et dans les populations actives des zones peu denses. On retrouve plutôt des similitudes avec l’électorat d’Eric Zemmour, c’est-à-dire des zones avec de fortes inégalités de revenu mais surtout de patrimoine. Son seul critère de réelle convergence avec l’électorat de M. Macron est sa pénétration chez l’électorat de plus de 60 ans.

Concernant l’électorat de M. Mélenchon, on sait bien sûr, compte tenu de son score élevé, qu’il est en réalité très hétérogène. Les études montrent que les reports de voix sont assez équilibrés entre le vote Macron, le vote Le Pen et l’abstention ou le vote blanc. Mais en termes de profils de votants, son électorat penche clairement du côté de Mme Le Pen. Une très forte corrélation existe entre son score au 1er tour et les zones fortement touchées par le chômage. L’électorat de M. Mélenchon touche très fortement les zones des déciles de revenus inférieures, comme Mme Le Pen, et touche de façon identique les catégories d’âge les plus jeunes. Si seules les personnes touchant moins de 1250 € net par mois pouvaient voter, Mme Le Pen l’emporterait avec 31% devant M. Mélenchon avec 28%.  En revanche, le point qui le rapproche de l’électorat de M. Macron est sa sur-performance dans les zones denses, très défavorables à Mme Le Pen. Mais ce sont des zones denses souvent défavorisées avec une qualité de service public moindre. M. Mélenchon fait toutefois un score bien meilleur que Mme Le Pen chez les cadres (25% vs 12%) et bien moins bon chez les ouvriers, au sein desquels Mme Le Pen tutoie la barre des 40% au premier tour !

 

L’analyse effectuée confirme ainsi la très forte hétérogénéité des votes sur le territoire, notamment entre zones urbaines et zones rurales. Elle permet de se faire une idée précise des ancrages de chaque candidat et permet de comprendre pourquoi les électorats de M. Macron et Mme Le Pen sont extrêmement étanches, puisque plus de 90% des électeurs potentiels des deux candidats étaient sûrs de leurs choix dès le lendemain du 1er tour. Enfin, elle met en lumière la polarisation du vote populaire, tiraillé entre le choix pour Mme Le Pen dans les zones peu denses et pour M. Mélenchon dans les zones plus denses.