Covid 19 Une pandémie mentale

La crise sanitaire du Covid 19 a souvent été affaire de chiffres. Chiffres vertigineux du nombre de contaminations et de décès présentés à longueur de journées sur les chaînes de télévision, les sites internet et les applications. Chiffres qui voient les datas constituer la matière première de la santé, comme celle de la plupart des secteurs d’activité.

Enfermés dedans

L’un de ces chiffres sidérants, pour reprendre un terme très à la mode et parfaitement en ligne avec le thème de ce papier, est sans nul doute celui des personnes confinées dans le monde lors de la première vague de l’épidémie. 60% de la population mondiale, soit 4,6 milliards d’individus, se sont retrouvés chez eux, presque totalement enfermés pour de longues journées. Cet enfermement physique, marqué par la privation momentanée de libertés, se distingue aussi par sa dimension psychique. Maladie virale, le Covid 19 a eu, à travers ses conséquences, un impact important sur la santé mentale, à tel point que, dès la première vague, les autorités sanitaires ont souligné le risque d’une « seconde vague psychiatrique ».

Une étude de suivi de la santé mentale

Dans ce contexte d’une pandémie aux contours incertains, et qui n’a cessé de surprendre dans ses développements, une attention particulière a été accordée à ce qui relevait de ses conséquences mentales. Dès le 23 mars 2020, Santé Publique Française (SPF) lançait CoviPrev, une étude conduite avec l’institut BVA*, pour mesurer la connaissance des mesures de protection mises en œuvre, mais aussi surveiller un paramètre « susceptible de constituer un fardeau supplémentaire pour le système de santé ». Il s’agissait notamment de suivre les évolutions de la prévalence de l’anxiété, de la dépression, des troubles du sommeil ou encore de la prise de médicaments.

L’anxiété s’installe

L’état d’anxiété de la population française était déjà mesuré depuis 2017 selon l’échelle HAD (Hospital Anxiety and Depression Scale), 14 questions permettant de déceler les troubles anxieux et dépressifs. Alors que cette année-là, le taux de personnes ressentant un état d’anxiété s’établissait à environ 13%, il est passé à près de 27% lors de la première vague. Avec l’été qui suit le premier confinement et voit de nombreuses restrictions supprimées, le taux retrouve son étiage constaté en 2107. Un point bas qui ne sera plus jamais atteint par la suite. Pendant que le Covid 19 s’installe durablement dans nos vies, cet état d’anxiété continue à se diffuser plus ou moins largement, un nouveau pic étant atteint à l’automne 2020 Peut-être doit-on voir dans ce dernier résultat l’émergence de nouveaux paramètres anxiogènes, dont le retour de l’inflation et le renchérissement des matières premières avec comme conséquence une énergie plus chère, qui viennent obscurcir l’horizon des Français. Et encore, la guerre en Ukraine n’avait pas éclaté.

Un état dépressif au gré des vagues

En matière d’état dépressif, l’étude CoviPrev montre une évolution plus tranchée de la courbe qui met en évidence deux moments forts. Ce ressenti concerne environ 19% des personnes interrogées, sans que ce chiffre ait vraiment évolué à partir des mesures de distanciation sociale prises en février 2020. Il va connaître une forte baisse avec le retour des « jours heureux » de l’été avant de doubler avec l’arrivée de la deuxième vague de la pandémie, les Français ayant psychologiquement plus de mal à encaisser le retour du virus. Au gré des vagues et des variants, la mesure de l’état d’anxiété continue à faire le yoyo. Conséquence de ces états d’anxiété et dépressifs plus marqués, il a été enregistré pendant les périodes de confinement une hausse de la consommation des psychotropes, notamment celle de l’alcool, et des conduites addictives.

L’empreinte profonde sur le sommeil

Un autre marqueur a fait l’objet de l’étude CoviPrev, les troubles du sommeil. Le baromètre SPF dénombrait qu’environ 1 Français sur 2 en souffrait en 2017. Fin mars 2020, ce taux s’établit à 61% pour grimper ensuite à plus de 66% avec le premier confinement. La suite de l’épidémie montre que la difficulté à passer des nuits calmes perdure. Les deux étés voient le taux baisser dans des proportions pas moins significatives que ceux concernant les taux d’anxiété et d’état dépressif, mais surtout loin du chiffre de 2017. Ce taux atteint son plus haut à l’automne 2021.

Les femmes particulièrement fragilisées…

Dès le lancement de l’étude CoviPrev, SPF a mis en évidence certains facteurs aggravants dus notamment au confinement, malgré les aides déployées pour rendre la situation plus soutenable tant du point de vue social qu’économique. La perte d’un proche, la peur d’être contaminé, la raréfaction des relations sociales a beaucoup pesé. Les inégalités liées au logement, au travail et au revenu se sont accentuées. Les femmes avec enfants, particulièrement les mères célibataires, ont davantage ressenti l’impact psychologique de la crise sanitaire et en ont subi les conséquences en termes de santé mentale. De fait, quel que soit l’item considéré, la différence des prévalences selon le sexe est très sensible. Les courbes épousent peu ou prou les mêmes contours, dans un parallélisme constant, mais le ressenti des femmes est toujours significativement supérieur à celui des hommes.

Au sujet de l’état d’anxiété, la différence est d’environ 10 points, quelle que soit la période considérée. En ce qui concerne l’état dépressif, l’écart est moins marqué, affichant 7 points au plus haut. Concernant les troubles du sommeil très fortement ressentis, les différences se creusent à nouveau avec souvent plus de 15 points d’écart.

… et les jeunes qui le sont tout autant

L’effet pandémique mental du COVID 19 a été internationalement constaté comme l’ont montré de nombreuses études réalisées à l’étranger. Elles ont aussi permis de mettre en évidence l’impact sur les plus jeunes, telle une étude chinoise publiée en mars 2020 dans le BMJ Journals. Le 17 novembre dernier, la Défenseure des droits de l’enfant, Claire Hédon, soulignait dans son rapport les effets délétères sur la santé mentale des plus jeunes. CoviPrev va également dans ce sens sur les trois items déjà traités. Si lors de la première vague de l’étude les 25-34 ans sont trois fois plus nombreux que les 65+ à éprouvé un sentiment d’anxiété, le chiffre est quadruplé à l’automne 2021. Concernant les troubles du sommeil, les écarts sont moins significatifs mais toujours marqués entre les nouvelles et les anciennes générations. Au sujet du sentiment dépressif, les différences sont également moins nettes. Mais surtout, ces résultats témoignent d’un ancrage profond avec des conséquences psychologiques à long terme dont on ne mesure sans doute pas encore l’ampleur.

Des mots symptomatiques

Eclairage complémentaire de CoviPrev, Nextrends, l’outil d’analyse data développé par C-Ways, met aussi en lumière l’importance croissante prise par tout ce qui touche à la santé mentale durant ces deux dernières années, à travers la recherche de plusieurs mots-clés. Souvent, les courbes d’évolution correspondent à celle de l’étude CoviProv. Parfois, elles connaissent une croissance régulière sur la durée qui signe la profondeur de l’inquiétude. C’est ainsi le cas pour la recherche des mots « psychologue » et « psychiatre ». Si leurs points le plus haut se situent au début de la pandémie, puis connaissent une forte chute au moment du confinement, de nombreux cabinets médicaux étant fermés, ils ne cessent ensuite de monter. Concernant le mot « psychologue », le chiffre fin 2021 dépasse même le sommet initial. La recherche concernant des médicaments antidépresseurs atteint quant à elle très vite des sommets pour ne plus jamais les quitter. Celle liée à l’idée de suicide croit également très vite mais surtout enregistre une progression aussi fulgurante qu’inquiétante en fin d’année 2021.

Toucher le fond

Dans un registre à peine plus léger, l’émergence durant la pandémie du doomscrolling témoigne à sa façon de la dégradation de la santé mentale. Ce terme désigne l’action de faire défiler sans fin les pages Internet, sans fin et même jusqu’à sa perte si l’on en juge par le sens du mot doom**. Avec le développement technologique et celui des réseaux sociaux, ce défilement infini est synonyme de capture temporelle des internautes et de recettes publicitaires accrues. Avec le développement du Covid, le doomscrolling se fait morbide et susceptible de contribuer à l’altération de la santé mentale de ceux qui le pratiquent. En temps de confinement, d’inquiétude, d’incertitude, de surenchère, ce qui défile alors sous les doigts des scrollers compulsifs ce sont des informations sombres, négatives, dont la teneur alarmiste ne cesse de prendre de l’ampleur. Avec pour cible privilégiée, à nouveau les plus jeunes qui n’ont pas toujours le recul et la capacité pour faire le tri entre ces torrents d’infos obtenues souvent tard dans la nuit, le tout participant aux troubles du sommeil.

Alors, inquiétante la santé mentale des Français et plus encore celle des générations futures ? Comme nous l’avons déjà souligné, les derniers développements géopolitiques n’incitent pas à un optimisme soutenu, c’est un euphémisme. En revanche, la pandémie du Covid a montré qu’il était possible de réagir rapidement pour trouver des thérapeutiques efficaces, en l’occurrence les vaccins, et les déployer à grande échelle, même si ce fut géographiquement, géopolitiquement pourrions-nous même dire, inégal. Une réaction qui, pour la première fois sans doute dans le cadre d’une pandémie, a pris en compte sa dimension psychique. Espérons que le caractère exceptionnel du Covid 19 ne soit pas le seul facteur explicatif de cette prise en charge. Espérons qu’en ce genre de circonstances, l’exceptionnel devienne normal.

 

* La méthodologie a consisté à interroger par Internet des panels représentatifs d’environ 2 000 personnes résidant en France métropolitaine. Les données ont été redressées sur le sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle, la catégorie d’agglomération et la région d’habitation mais sont non sujettes à un biais de déclaration.

**Idiot, stupide