« Non la diffusion du virus n’est pas en accélération »
Il y a deux semaines, C-Ways anticipait une baisse de la circulation épidémique de la Covid-19 en France sur la base de son indicateur prédictif TrackCovid. Les effets de cette baisse de circulation du virus étaient attendus dans les 15 jours.
15 jours après, les autorités publiques semblent au contraire tirer la sonnette d’alarme. Qu’en est-il réellement ?
Pour éclaircir cette situation, notre Président Grégoire Mialet vient s’expliquer sur la situation et sur la position de C-Ways.
Pour lui, pas de doute, il y a bien un ralentissement de l’épidémie, depuis 2 semaines déjà : « le suivi de l’épidémie de Covid-19 est symbolique du malaise de la data en France : beaucoup de datas, énormément de datas, tellement de datas qu’on ne sait plus comment les analyser »
Il y a deux semaines, C-Ways prédisait une baisse de l’épidémie de Covid-19. Ce n’est pourtant pas ce que l’on voit…
Grégoire Mialet : Encore faut-il savoir ce que l’on regarde. Si on regarde la diffusion actuelle du virus, en termes de contaminations inter-humaines, on constate une baisse incontestable depuis près de 2 semaines sur quasiment tout le territoire. Outre notre indicateur prédictif, fondé sur les recherches internet, qui la détectait dès le 17 septembre, on constate que les appels à SOS Médecins pour suspicion Covid sont en baisse depuis le 21 septembre, les admissions aux urgences pour suspicion Covid depuis le 23 septembre, les hospitalisations conventionnelles depuis le 24 septembre. Il y a deux types indicateurs qui ne baissent pas : le nombre d’entrées en réanimation, ce qui est tout à fait logique puisqu’on sait qu’il a 21 jours de retard en moyenne sur la contamination, et le nombre de cas mais dont on sait qu’il est illisible compte tenu des évolutions majeures dans la stratégie de dépistage. Oui le virus circule, mais non il ne s’accélère pas.
Pourquoi donc le gouvernement et les pouvoirs publics parlent d’indicateurs qui s’aggravent…
Ce n’est pas un indicateur qui s’aggrave. C’est une situation ou un phénomène. Là est bien le problème, on confond les deux ! Les pouvoirs publics regardent majoritairement l’évolution du taux d’incidence, soit le nombre de cas pour 100 000 habitants. Or cet indicateur a deux inconvénients majeurs : il prend en compte les tests positifs, et vu le délai de résultat, on se situe en moyenne 7 jours après la contamination. C’est un effet retard très élevé quand on prend des décisions de cette importance. Ensuite, la politique de tests évolue drastiquement : au printemps on ne testait personne, début septembre on testait qui veut, désormais on teste massivement avec des publics prioritaires et des délais décourageants. Le taux d’incidence et ses dérivés, nombre de cas, taux de positivité, sont statistiquement biaisés. C’est très dangereux de suivre ce type d’indicateur. C’est comme si on suivait la température qu’il fait dehors, en changeant chaque jour la mesure étalon du degré celsius : si demain, on lance une alerte canicule parce qu’on prévoit 30 degrés, vous seriez surpris de vous retrouver en manteau. Le suivi de l’épidémie de Covid-19 est symbolique du malaise de la data en France : beaucoup de datas, énormément de datas, tellement de datas qu’on sait plus comment les analyser. On fait des erreurs que les autres pays ne font pas, parce qu’on ne sait pas lire nos données.
On voit tellement d’indicateurs différents, de cartes, de courbes… Comment s’y retrouver et à qui faire confiance ?
Le but n’est pas de dire qui a raison ou qui a tort. Dans la publication des chiffres, tout le monde a raison. L’important est de prendre le recul sur la donnée et de la comprendre.
Le grand problème de cette épidémie, c’est que nous avons au moins 15 jours de retard entre ce que nous mesurons et la réalité du moment. Il faut absolument expliquer et réexpliquer cela. Quand le gouvernement prend une décision, elle ne sera visible que 3 à 4 semaines au mieux, le temps qu’elle soit appliquée et bénéfique. Quand on prend une photo de ce qu’il se passe dans les hôpitaux, cela représente une situation dont la cause se situe il y a plusieurs semaines.
La logique est imparable : quand vous êtes contaminé, vous vous autodiagnostiquez (là ou intervient TrackCovid), vous attendez a minima quelques heures pour confirmer vos symptômes, vous consultez un médecin dans les 48h, vous allez vous faire tester dans les 48h, vous attendez le résultat du test dans les 48h, éventuellement vous êtes pris en charge par le SAMU, éventuellement vous êtes hospitalisé, puis plusieurs jours après, vous êtes admis en réanimation, puis éventuellement, je ne vous le souhaite pas, plusieurs jours après, vous décédez. Cet enchaînement est parfaitement clair quand on analyse les courbes. Nous avons estimé à 92% le coefficient de corrélation de ces courbes quand on prend les bons paramètres d’effet retard. Mathématiquement, ce que nous observons est d’une précision diabolique.
Que s’est-il donc passé en septembre ?
Ce que nous avons observé en août et en septembre est, pour nous, le résultat du brassage de population qui a eu lieu au départ en vacances, de façon mesurée, et au retour, de façon beaucoup plus intense. L’accélération du virus a véritablement eu lieu entre le 24 août et le 10 septembre. La preuve en est, la circulation du virus est extrêmement homogène sur le territoire, ce qui n’était pas du tout le cas de la première vague. En effet, les clusters se sont très vite répartis au gré des mouvements de population (bien que 3 fois moins rapide que la première vague, la diffusion est devenue exponentielle) . Depuis mi-septembre, les brassages sont beaucoup moins fréquents, les mesures de port du masque sont plutôt bien respectées. Le R0 est redescendu à 1, ce qui est la cible. Depuis, l’épidémie régresse.
Le renforcement des mesures n’est donc pas nécessaire ?
Nous disons simplement que la situation n’est pas plus grave, qu’il y a 15 jours, au contraire. C’est probablement mi-août qu’il aurait fallu prendre des mesures plus fortes. Le gouvernement se fonde en ce moment pour ses décisions sur une note d’alerte du conseil scientifique datée du 22 septembre, qui prend en compte une modélisation à mi-septembre avec des projections sur des bases épidémiologiques. Or mi-septembre était le pic de la 2ème vague et les modélisations épidémiologiques à court terme sont très contestées dans la communauté scientifique, car elles ne tiennent pas compte des phénomènes exogènes. Je trouve cela très risqué de prendre des décisions de cette importance sur cette seule hypothèse. L’enjeu du gouvernement n’est pas de faire disparaître le virus, mais de trouver le bon équilibre entre contraintes économiques et sociales et contraintes sanitaires. C’est une équation éminemment complexe.
Comment les prévisions de C-Ways sont-elles perçues dans la communauté scientifique ?
Nous travaillons étroitement avec l’AP-HP qui utilise nos prévisions. L’accueil qu’ils ont fait à notre méthode a été très bon. Le monde hospitalier est en recherche d’indicateurs prédictifs, car ils doivent anticiper les arrivées des prochaines semaines. Mais je comprends aussi que ce soit antinomique d’avoir des indicateurs prédictifs en baisse, alors que les lits continuent à se remplir toujours plus. Surtout que cela continuera ces prochains jours. Ils sont confrontés à la réalité du terrain. Comme les durées d’hospitalisation sont longues, même lorsque le nombre de nouveaux cas diminue, le taux d’occupation en hôpital augmente. C’est contre-intuitif et c’est ce qui perturbe le grand public et les observateurs. Pourtant c’est un pur phénomène statistique de causalité.
Les prévisions de C-Ways sont-elle fiables ?
Lorsque le confinement démarrait, nous avions anticipé le pic de l’épidémie au 7 avril alors que tout le monde attendait un effet du confinement plus rapide. Le pic a en fait eu lieu le 9. En juillet, vous retrouvez dans la presse seulement 2 articles qui mentionnent une légère hausse de l’épidémie : une estimation C-Ways et des prélèvements effectuées dans les eaux usées de Paris. On sait aujourd’hui que c’est bien à cette date que l’épidémie a repris.
Nous avons envoyé un communiqué le 7 septembre pour anticiper une « spectaculaire accélération » de l’épidémie qui aurait des « effets sur les services hospitaliers dans les 20 prochains jours » alors qu’on parlait peu de l’épidémie dans les medias, sauf en termes économiques. Cela s’est donc vérifié fin septembre. Par définition, nous sommes toujours en décalage avec les autres indicateurs, mais on ne peut plus se passer du prédictif.