45 ZFE-m fin 2024 – Source C-Ways

Déjà en vigueur dans quelques grandes agglomérations, les Zones à faibles émissions-Mobilités (ZFE-m) vont se multiplier et devenir plus exigeantes au cours des trois prochaines années : la loi « Climat et Résilience » impose en effet à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants de mettre en place une ZFE-m d’ici la fin 2024.

45 agglomérations sont concernées et en 2025, 44% de la population vivra dans une ZFE-m.

Des observateurs s’indignent du caractère excluant de ce dispositif. De nombreux ménages modestes, possesseurs de véhicules anciens et polluants, et habitant dans les zones mal desservies par les transports en commun se trouvent dans l’incapacité financière de changer de véhicule. Leur capacité de mobilité s’en trouve fortement réduite.

 

L’exemple de la ZFE du Grand Paris : les communes les plus pauvres (orange foncé, à gauche) sont celles où la proportion de véhicules potentiellement exclus est la plus élevée (orange foncé, à droite)

Sources : C-Ways d’après INSEE, C-Ways d’après SIV

 

L’amélioration de la qualité de l’air est un impératif de santé publique, et l’objectif de limiter les polluants dans les zones denses n’est pas discutable. Pour autant, on peut s’interroger sur le réalisme du calendrier. A titre d’exemple, 80% du parc automobile de Saint-Denis devrait être renouvelé d’ici au 1er janvier 2024, soit dans deux ans, sous peine d’être soumis à de fortes restrictions de circulation. A Paris, 61% des véhicules sont concernés.

On parle moins des véhicules utilitaires légers (VUL) qui vont être soumis aux mêmes contraintes. Pourtant leur situation est bien plus critique que celle des véhicules particuliers. Certains possesseurs de véhicules particuliers trouveront des solutions alternatives à l’usage de leur voiture : travail ou consommation à distance, transports en commun, vélo, autopartage… Les VUL en revanche sont des outils de travail dont la plupart des professionnels ne peuvent se passer ; leur fonctionnalité n’est pas dématérialisable et les alternatives à leur usage (voie ferrée, cyclo-logistique…) sont peu développées et ne sont envisageables que pour une faible part d’entre eux.

La proportion de véhicules concernés est considérable : 93% à Saint-Denis, 88% à Paris ; la plupart des véhicules utilitaires roulent en effet au gazole, qui sera carbura non grata en 2024 dans la ZFE-m du Grand Paris, en semaine de 8h à 20h… soit précisément aux horaires usuels de travail.

ZFE du Grand Paris : calendrier

La quasi-totalité des professionnels travaillant dans la ZFE du Grand Paris doivent donc remplacer leur véhicule dans les deux ans qui viennent :

  • soit par un véhicule électrique (Crit’Air 0), qui constituera une solution pérenne ;
  • soit par un véhicule hybride, au gaz, ou par un véhicule à essence immatriculé depuis 2011 (Crit’Air 1)… solution plus économique, mais provisoire : en 2030, seuls les véhicules électriques devraient pouvoir circuler dans la ZFE du Grand Paris.

S’engager dans la solution électrique, pour de nombreux professionnels habitués depuis longtemps à leur utilitaire diesel, soulève bien des incertitudes.

 

Sur un plan financier tout d’abord, l’achat d’un véhicule électrique représente un effort important pour l’entreprise.

Source : Métropole du Grand Paris

Les situations sont bien sûr extrêmement variées, de l’artisan plombier qui ne possède qu’un seul véhicule, à l’entreprise de logistique disposant de centaines d’utilitaires en leasing. Les capacités de financement sont différentes, les situations comptables plus ou moins favorables… Quoi qu’il en soit un véhicule électrique est cher, même si différentes aides permettent d’en atténuer nettement le coût.

Au-delà de l’achat, c’est le coût global du véhicule électrique qui doit être appréhendé, qu’il soit direct : coût de l’énergie (favorable), coût d’entretien (favorable), dépréciation du véhicule (incertaine) ; ou indirect : infrastructures de recharge, formation des utilisateurs.

Se pose notamment la question de la revente des véhicules actuellement possédés dont la cote pâtira fatalement des restrictions de circulation. La majorité des véhicules utilitaires étant commercialisés sous leasing, les professionnels dont le contrat se termine au-delà de 2024 n’auront théoriquement pas la possibilité de se débarrasser de leur véhicule avant l’échéance fatidique.

L’autonomie, forcément plus faible qu’avec un véhicule diesel, constitue également une difficulté pour les professionnels qui effectuent des kilométrages quotidiens importants ou aléatoires, ou dont les véhicules spécifiques ont des appels de puissance potentiellement conséquents (froid dirigé, levage, bennes des services urbains …).  Les difficultés seront d’autant plus grandes que le réseau de recharge, insuffisamment développé, va induire dans de nombreux cas des difficultés d’organisation. Certaines entreprises seront en mesure d’installer leurs propres bornes de recharge, tandis que d’autres seront tributaires du réseau de recharge public. Comment devront-elles gérer le domicile/travail que bon nombre de chauffeurs usagers de VUL réalisent avec leur VUL ? Des pertes d’exploitation sont à craindre pour les entreprises, de la pénibilité et des coûts supplémentaires pour les chauffeurs.

Quant aux constructeurs, pourront-ils répondre à une électrification massive de la demande de VUL ? Dans la seule commune de Paris, 71 000 VUL doivent être renouvelés avant 2025 pour pouvoir continuer à circuler ; en 2021, dans toute la France, il s’est vendu… 12 000 VUL électriques.

La mise en place des ZFE devrait accélérer l’électrification des véhicules utilitaires. Face à cette mutation nécessaire, mais brutale et génératrice d’incertitudes, une implication forte des pouvoirs publics et des écosystèmes de l’automobile, de l’énergie, des infrastructures sera nécessaire pour fournir aux professionnels concernés une information claire et des accompagnements personnalisées, avec le cas échéant les dérogations nécessaires à la continuité de certaines activités et entreprises.

 

Philippe Jullien pour C-Ways, janvier 2022