Exode urbain : Vers un territoire recomposé ?
Au cœur de la pandémie, et même une fois les nombreuses vagues passées, tout le monde connaissait l’ami d’un ami d’un ami qui, lassé de la ville et en mal de bien-être et d’air pur, allait s’installer dans l’une des belles provinces françaises pour enfin trouver un mode et un cadre de vie à la hauteur de ses espérances. Il était ainsi établi de sources nombreuses et variées grâce à ces amicales personnes autorisées, que le phénomène de migration urbaine n’était pas une vue de l’esprit, mais bien une réalité. Et foi d’experts, le Covid 19 avait bien été le déclencheur de ce phénomène, terreau fertile d’un véritable exode urbain appelé à durer. Un exode – mot presque incongru, voire déplacé, tant il renvoie à des réalités autrement plus douloureuses – qu’il conviendrait davantage de qualifier de métropolitain, comme nous le verrons plus loin. Alors, dans les faits, qu’en est-il réellement ?
Solde naturel et solde migratoire
Comme pour tout propos sujet à débat, il convient d’abord de fixer le décor en posant quelques jalons qui définiront un périmètre de compréhension. La croissance d’une population à l’échelle d’une région, d’un département ou encore d’une ville repose sur deux dimensions. Elle peut être engendrée par un solde naturel de population ; les naissances excèdent alors les décès. C’est particulièrement le cas dans les pôles urbains qui se caractérisent par une jeunesse de la population supérieure à la moyenne. Elle peut également résulter d’un solde migratoire positif ; les entrées dans un territoire sont supérieures aux sorties. C’est ce second aspect qui nous intéresse ici.
L’envie de bouger, le lieu pour s’installer
La mobilité résidentielle se caractérise quant à elle par deux types de mouvements. Soit la population suit l’emploi, soit l’emploi suit la population. Car, de quelque façon que l’on observe le phénomène, c’est bien l’emploi qui est en général au cœur du processus. Le développement du télétravail ne change rien à la donne, bien au contraire, nous y reviendrons. Les contrats longue durée invitent plus volontiers à des mobilités longues distances, les personnels qualifiés étant plus en capacité de franchir le pas. Le cas d’une évolution de la structure familiale relèguera plus souvent la question de l’emploi au second plan.
Même si le choix de la mobilité précède presque toujours celui de la localisation, la distance au lieu de travail est un critère déterminant mais pas le seul. Il est prépondérant dans un environnement urbain, le temps de transport devenant une composante essentielle du choix du lieu de vie. Dans un environnement plus rural, la présence d’aménités, chères aux urbanistes et aux démographes, pèsent de tout leur poids, de la qualité naturelle des lieux en passant par celle des équipements publics, scolaires, culturels…
Les migrations urbaines, un passé et un avenir
Mais s’il est question d’espace lorsqu’on parle de mobilité, il est avant tout question de temps. La mobilité urbaine récente s’inscrit ainsi dans un mouvement ancien. L’Insee pointe ainsi que l’évolution démographique observée dans entre 2010 et 2015 se plaçait dans la lignée de celle enregistrée les deux décennies précédentes. Et déjà, il apparaissait que, dans leur ensemble, les façades Ouest et Sud connaissaient des évolutions migratoires marquées. A l’inverse c’est dans les départements sièges des grands centres urbains que l’évolution des soldes naturels était la plus nette.
Une étude prospective de l’Insee vient confirmer le fait que cette tendance a de l’avenir. L’évolution potentielle de la population française à l’horizon 2040 détermine que l’essor démographique des régions Ouest et Sud se poursuivra même si le solde migratoire du bassin méditerranéen devrait évoluer moins rapidement que ces dernières années. Le Limousin et l’Auvergne pourraient progresser au même rythme que l’Ile-de-France. Le rural est tendance et le restera. Et de façon globale, le solde naturel aura un impact moindre sur la croissance démographique.
Du centre vers la périphérie
L’évolution du solde migratoire urbain ne saurait donc se limiter à la seule période de la pandémie. De nombreuses autres grandes villes ont perdu de leurs habitants, et cela ne date pas d’aujourd’hui. Le fameux effet donuts, mouvement de population constaté du centre vers la périphérie, est tangible depuis de nombreuses années. Une « photographie » réalisée toujours par l’Insee en 2017 montre que le desserrement urbain est déjà à l’œuvre. C’est particulièrement vrai pour des villes comme Lille ou Paris, avec les petites et grandes villes de banlieue et les zones rurales qui ont profité du mouvement. Et la ligne de séparation des mobilités coupant la France en deux avec une diagonale nord-ouest/sud-est est déjà marquée. Les zoom towns n’ont pas attendu le développement du système de visioconférence éponyme pour éclore.
Un marché immobilier en mouvement
Cependant, difficile de nier que la pandémie a joué un rôle d’accélérateur dans les intentions de mobilités. Les recherches de biens immobiliers ont été ainsi plus importantes pendant ces deux années de Covid. Mais des recherches qui concernaient plus ou moins les mêmes lieux, sans faire naître une quelconque rupture territoriale. Les grands centres urbains captaient et continuent à en capter l’essentiel.
Les annonciateurs d’un exode urbain massif ne manquent pas de mettre en avant les récentes données concernant le marché immobilier pour démontrer la véracité de leur point de vue. Rappelons un chiffre souligné dans notre précédent billet sur le télétravail. Selon le Conseil du notariat, plus de 18% des Français ont déménagé en 2021. Et les tensions sur les prix ne sont-elles pas aussi le signe de cet exode ? Un article du Monde consacré à Vannes affirmait qu’en un an les prix des appartements anciens avaient augmenté de 10,8% et celui des maisons de 12,2%. Mais, la ville était déjà attractive avant le Covid avec comme principaux atouts un climat doux, un dynamisme local multiforme… et un TGV qui la relie en 2h30 à Paris. Les prix ont augmenté ? Comme dans d’autres localités où le pouvoir d’achat des cadres parisiens, souvent déjà propriétaires, a trouvé matière à se transformer en pouvoir d’acheter irrésistible. Pas besoin d’être un grand investisseur ou un grand économiste pour juger rapidement qu’un achat immobilier devient dans ces conditions une sacrée bonne affaire.
La généralisation du télétravail changera-t-elle la donne ?
Une autre problématique nous invite à ne pas tirer de conclusion trop hâtive sur la réalité ou non de cet exode urbain. Et cette problématique nous ramène à l’origine de ce texte soulignant que la mobilité est initiée principalement par le travail. Les différents mouvements enregistrés durant la période Covid ont souvent été rendus possibles par la mise en place du télétravail, dans un premier temps généralisé, puis ensuite moins systématique. Avec là encore des populations comme celles des cadres supérieurs et des professions intellectuelles qui se trouvaient favorisées pour profiter de ce nouveau style de vie dans un cadre différent.
Le pic de gravité de la crise sanitaire semblant désormais derrière nous. Le télétravail repose désormais sur une base sociale et réglementaire plus stable. Aussi, entre les extrêmes du full remote ou d’une présence totale sur le lieu de travail, un nombre de jours précis et invariant en télétravail va peut-être offrir aux Français un solide cadre de réflexion quant à l’intérêt et à l’envie d’un éventuel déménagement. Envie aussi partagée par des futurs retraités bi-résidents qui se projettent sur la vie d’après travail, à la recherche aussi d’une vi-ll-e idéale dont la dimension éco-responsable ne serait pas la moindre.
Petits flux, grandes conséquences
Les années à venir nous diront si les tenants d’un exode urbain prononcé avaient vu juste, un peu avant tout le monde, et si la normalisation du télétravail engendrera réellement une nouvelle structure territoriale. N’oublions pas que le mouvement démographique est affaire de temps, de temps long. N’oublions pas non plus, comme le souligne une étude conduite par le Réseau Rural Français et le Plan Urbanisme Construction Architecture, que la mobilité est caractérisée par de petits flux hors des aires d’attraction des villes. Des petits flux qui peuvent avoir de grandes conséquences surtout sur les petits territoires. L’arrivée d’un nombre en apparence limité d’habitants peut conduire à reconsidérer l’offre en matière de services publics, de commerces, d’écoles, d’équipements, de santé…
Plutôt que de statuer sur la réalité de l’exode urbain, il nous fera alors plutôt prendre toute la mesure du renouveau rural 2.0.